samedi 3 octobre 2015

[nouvelles] Aullène > la statue de la Liberté



Ceux d'entre vous qui ont participé aux promenades commentées "Trésors d'Aullène" se souviendront que leur a été racontée l'histoire de la statue surmontant la fontaine à trois canons de l'Andriaccia.

Cette statue fut un temps qualifiée à tort de "Diane chasseresse" par les Auddaninchi et cette idée (peut-être induite par le carquois posé derrière ses pieds) fut en partie accréditée grâce à Jean-Baptiste Benedetti "Capitanu" qui mentionna ce nom dans son livre de souvenirs "Ricordi d'altri tempi - Usanzi d'Alta Rocca e d'Altrò" (1) publié en 1972 par "U muntese" : "Eccu a piazza di l'Andriaccia, fiera di a so' funtana a tre cannona 'nantu a quale altiera, si drizza a statua di 'Dianna a cacciatrice'".

Or, ainsi qu'indiqué lors des promenades, cette statue, créée par le sculpteur Louis Lequesne en 1863 pour les fonderies du Val d'Osne, représente une République-Liberté.

Statue n° 470 des allégories de la planche 600 du catalogue des fonderies du Val d'Osne (merci à la base de données du site e-monumen) :

Aullène (France) et Olinda (Brésil) : statue de la Liberté du catalogue des fonderies du Val d'Osne

Deux exemplaires en furent coulés : un pour la fontaine d'Aullène inaugurée le 14 juin 1882 et un érigé sur un socle de la Praça do Carmo le 16 mai 1888 par la ville d'Olinda (à côté de Recife au Brésil). Outre le fait que la statue soit clairement nommée comme une Liberté au catalogue des fonderies, l'exemplaire d'Olinda est qualifié de Liberté et la fontaine d'Aullène est nommée "Fontaine à trois canons de Minerve" sur une carte postale postée en 1908. Lors d'une de ses visites à Aullène, la guide-conférencière Aline Gerville-Réache, numismate diplômée de l’École du Louvre, a expliqué que l'imprimeur de la carte postale n'était pas totalement dans l'erreur puisque les attributs de Minerve/Athéna ont été utilisés pour la représentation de la République par les artistes du XIXe siècle. Minerve était la déesse de la guerre, de la sagesse, de la stratégie guerrière, de l'intelligence, de l'art et de l'industrie ; c'était également la gardienne de la cité. Les attributs de Minerve utilisés ici dans notre allégorie de la Liberté sont par exemple la lance et le casque ainsi que le péplos (bien qu'inhabituellement très court), et peut-être l'olivier (représenté par la bûche sur laquelle repose le casque). Il serait ardu d'interpréter comme l'égide, même en poussant le symbolisme dans ses derniers retranchements, la peau de bête rejetée dans le dos et nouée aux épaules puisque que le plastron-cuirasse de Minerve/Athéna est censément tressé dans du cuir de chèvre, frangé de serpents et orné d'une tête de Gorgone (ouf !). En revanche on pourrait y voir la cape d'apparat du tribun fermée par deux pattes de félin. Le carquois bien sûr étonne, toutefois on se rappelera que cette allégorie représente non seulement la gardienne de la cité mais également la déesse de la guerre et de l'industrie. Quant à l'étoile, elle indique probablement l'intelligence et son rayonnement.

Voici des clichés de la Liberté d'Aullène et de sa jumelle d'Olinda :

Aullène : statue de la Liberté
(Aullène, statue de la Liberté)

Olinda : statue de la Liberté
(Olinda, statue de la Liberté - photo de D. Perchet, reproduite ici avec son aimable autorisation)

L'historien Maurice Agulhon, décédé le 28 mai 2014, a abondamment écrit sur la représentation de la République mais je ne citerai ici qu'un extrait de son article "Un usage de la femme au XIXe siècle : l'allégorie de la République" (Romantisme, 1976, vol. 6, n° 13, pp. 143-152) :

"Aussi, lorsque six ou sept ans plus tard, les républicains légalistes (Jules Ferry, Gambetta et consorts), débarrassés du danger monarchique accèderont pleinement au pouvoir et voudront consolider la République sous tous ses aspects et dans tous les domaines, le choix du symbole leur posera, comme jadis à Louis-Philippe, mutatis mutandis, un problème difficile. L'allégorie féminine était trop liée à toute la tradition de la République pour que l'on puisse s'en passer, mais son attribut essentiel, le bonnet phrygien, était insupportable, puisque la Commune l'avait associé à son souvenir, et par ce biais à la révolution populaire plus ou moins socialiste d'inspiration.

Ainsi s'explique le choix du symbole officiel des années 80 : une femme, une femme de type Minerve, bien entendu, calme et sereine ; et, de plus, et surtout, sans bonnet : sa coiffure sera composée d'une couronne d'épis de blé complétée sur le front, en place de diadème, par une étoile à cinq branches. Le bonnet rouge, le bonnet phrygien, emblème traditionnel de la liberté depuis l'Antiquité romaine, se trouve dissocié de la Liberté-Sagesse pour s'associer, le rouge et la Commune aidant, à la révolution sociale, au point même d'être subversif dans la République de Ferry et de Gambetta. [...] Il n'y a pas de doute, dans les années 80, existent en France deux allégories féminines de la République, et qui sont concurrentes : l'une, soutenue par les cercles officiels, la tête coiffée d'objets quelconques et divers, et incarnant des valeurs modérées (Liberté réglée par la Loi, Justice, Ordre) ; l'autre, portant bonnet, plus populaire, mais un peu inquiétante, et chargée d'aspirations plus dynamiques. Ce sont là les aspects marginaux et pittoresques de ce fait historique majeur : la lutte des classes qui vient diviser le camp républicain. Certes, dans ces mêmes années 80, en 1883 exactement, la République de Morice, dressée à Paris sur la place qui porte son nom, est bien coiffée d'un bonnet phrygien, mais c'est précisément parce qu'elle a été commandée par le Conseil municipal de la capitale, alors d'extrême gauche ; et telles étaient les réticences du chef de l’État, Jules Grévy, qu'il refusa même de l'inaugurer."



(1) Je remercie Florette, la fille de Jean-Baptiste, d'avoir gentiment accepté, il y a quelques années, que je reproduise sur le site d'Aullène le texte de ce livre de souvenirs ainsi que sa traduction en français.

1 commentaire:

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