[Nouvelles] Aullène & Alta rocca > Mobilisation et morts Poilus Corses en 1914.
Mobilisation
14-18 et morts corses :
Nouvel
épisode de la Guerre des chiffres
En cette période où l’on commémore le
Centenaire de Verdun, les polémiques ressurgissent dans la presse et sur le Net quant au nombre de Corses tués en
14-18 et aux conditions de la Mobilisation dans l’île. Concernant le premier
point, on sait depuis longtemps que le chiffre avancé après-guerre de 48000
morts est erroné. Il correspondait à peu près en fait au nombre de Corses mobilisés.
Nos disparus, eux, ont avoisiné les 12000. C’est un bilan établi déjà depuis
les Années 90.
Aujourd’hui, le débat est plus
précisément lié aux comparatifs opérés entre la Corse et les régions de
l’Hexagone. En effet, la mortalité parmi les soldats insulaires est depuis
quelques années régulièrement évoquée dans des articles et des dossiers, réalisés
par des chercheurs, journalistes et internautes continentaux, et mettant en relief
un fait : non seulement la Corse n’aurait pas été plus meurtrie que la
moyenne nationale, comme elle … voudrait le faire croire, mais elle aurait été bien
moins touchée que de nombreux autres départements. Elle n’arriverait même qu’en
47e position, selon un dossier paru en mai 2014 dans La Revue Economique et repris depuis
abondamment. Aujourd’hui, cette thèse d’une île qui aurait finalement été bien
moins touchée qu’on l’aurait « cru », simplement alignée dans la
moyenne nationale, commence à être accréditée localement, sans la moindre
circonspection. Son martèlement par des médias réputés lui a conféré
visiblement, aux yeux de certains, la dimension d’une vérité historique formellement
attestée.
Sans vouloir épiloguer sur une macabre
comptabilité ni noircir un tableau déjà lugubre et tirer de « notre »
Hécatombe des conclusions lapidaires, il est tout de même important de
souligner deux points capitaux. En premier lieu, comme l’ont suggéré quelques
historiens corses interrogés il y a deux ans au sujet de l’étude géographique nationale de la mortalité en 14-18, il faut
être circonspect à l’égard d’analyses basées sur des projections discutables et
des chiffres non recoupés. En outre, comme cela a également été dit, il est
indispensable de mettre en exergue un point majeur et trop oublié : le
nombre de morts par rapport à celui des mobilisés (déjà lui-même très élevé dans
l’île et entaché d’irrégularités). Cette évaluation, de l’ordre de 25%, classe incontestablement
la Corse dans le terrifiant peloton de tête des régions les plus meurtries. Un
bilan qui a eu en outre des répercussions plus lourdes que dans les autres
départements, même très touchés, vu la situation d’insularité, la misère
endémique qui sévissait alors, supérieure à la moyenne nationale, et l’exode
déjà massif des forces vives, dû à l’extrême pauvreté et qui va s’en trouver
renforcé.
Concernant par ailleurs les conditions
de la Mobilisation, qui elles aussi font débat, on ne peut que renvoyer à la remarquable
étude de Sébastien Ottavi, parue en 2014 dans l’ouvrage Les Corses et la Grande Guerre (éd Albiana). Le jeune historien démontre, sources à l’appui, la
gestion très largement erratique de la Mobilisation des insulaires, entachée d’illégalité.
Qu’elle relève de la « simple » incompétence du Gouverneur militaire
de l’époque - le seul de ses pairs (exception faite des Autorités régissant
l’Empire Colonial et l’Outre-Mer) à avoir été visiblement si inapte, ce qui est
tout de même troublant - ou de motivations plus obscures à l‘encontre d’un
territoire à part, pas assimilé à une « Colonie » mais pas perçu non
plus comme une région « métropolitaine », c’est indéniablement un
type de traitement discriminatoire qui a été réservé aux Corses. Le dire ne
relève pas de l’idéologie, comme certains voudraient le faire accroire, mais
d’un bilan étayé aujourd’hui par des recherches historiques rigoureuses.
Pour ce qui est d’Aullène, notre
Exposition de 2014 m’a conduit, avec notre petite équipe investie sur ce projet,
à retrouver et étudier les dossiers de chacun de nos morts de 14-18. Ils sont
99, un peu plus nombreux que le nombre déjà très élevé recensé sur notre
Monument aux Morts. 99, pour une population mâle avoisinant les 700 personnes …
toutes tranches d’âge confondues : c’est une proportion qui se passe de
commentaires. Si l’on prend en compte le fait que tous ces défunts étaient des hommes dans la force de
l’âge, on mesure la profondeur de la saignée, au sein de la population mâle active
d’Aullène. Elle a engendré une rupture démographique dont notre village ne
s’est jamais remis. Une rupture qui y rôde toujours, qui le
hante, qui nous hante.
Jackie Poggioli
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