[décès] Aullène & Monacia d'Aullène > décès André Bach, hommage de Jackie Poggioli
L'officier qui aimait les hautes cimes et la liberté
Hommage de Jackie Poggioli au général Bach
C'est avec une immense tristesse que bien des Corses ont appris la disparition du général Bach.
Au-delà des militaires insulaires qui ont croisé la route de ce brillant officier issu de Saint-Cyr, engagé dans la force d'interposition avec les Casques bleus au Liban, puis chef de corps du 67e RI, il comptait de nombreux amis dans notre île.
Les Aullènois ont pour leur part eu l'occasion de le connaître lors de sa venue dans notre village, en août 2014. Malgré un agenda toujours surchargé, il nous avait honorés de sa présence pour notre exposition sur la Guerre de 14-18. Il avait fait une passionnante conférence sur les fusillés pour l'exemple et avait prononcé un discours marquant devant le monument aux morts de notre commune, lors de l'hommage rendu à notre concitoyen, Joseph Tomasini, passé par les armes en septembre 1914, après un procès ignominieux. Il avait rappelé comment cette affaire avait constitué l'une des toutes premières erreurs judiciaires de la Première guerre, reconnues dès 1917 par l'armée française.
Le général Bach était la voix la plus éminente de l'Hexagone sur la question des fusillés de 14-18, la plus affranchie aussi de toute considération idéologique. Nul ne pouvait en effet remettre en question son patriotisme, comme ses connaissances des archives sur le sujet. Diplômé d'histoire et de sciences politiques, cet ancien officier parachutiste atypique, homme de terrain et intellectuel émérite, avait été nommé, entre 1997 et 2000, à la direction du Service historique de la défense, l'institution gérant au château de Vincennes les archives militaires françaises. C'est lui qui y avait réorganisé avec brio les fonds longtemps dispersés sur 14-18 et notamment ceux ayant trait à la justice militaire. Il avait constitué la première base de données numériques sur les condamnés à mort et les fusillés. Si de nombreux chercheurs et journalistes ont pu bénéficier d'un accès à de nouvelles sources pour leurs travaux sur le sujet, c'est grâce à lui. Il a également publié deux ouvrages qui font autorité sur cette question.
S'il se situait hors de toute chapelle et se méfiait des discours militants manichéens, il a de fait contribué plus que tout autre à relancer le débat public en France sur la réhabilitation des fusillés pour l'exemple, même s'il refusait de se prononcer de façon simpliste sur une telle mesure. Son objectif était avant tout de redonner toute sa place à cette question mémorielle et de lui trouver enfin une solution honorable, digne du pays qui se revendique comme la patrie des droits de l'homme.
Pour faire avancer ce débat dans notre région, il avait accepté en 2011 mon invitation à animer, à mes côtés et ceux de la LDH, un débat à l'Assemblée de Corse, où était projeté mon film sur les soldats insulaires fusillés en 14-18 dans lequel je l'avais interviewé. Ses explications à cette occasion ont sans aucun doute influé sur le vote à l'unanimité de la CTC en faveur d'une réhabilitation de nos soldats passés par les armes.
Dans tout l'Hexagone aussi, il s'était associé à d'innombrables initiatives de la société civile sur ce sujet, sans forcément partager les thèses de ceux qui le sollicitaient, parce que lutter pour refermer cette blessure mémorielle lui paraissait, pour un Etat démocratique, de l'ordre de la justice la plus élémentaire, un siècle après.
Si la "France d'en bas" a fait écho à ses préoccupations, il n'a guère été entendu par les instances de la République. Bien qu'il soit considéré, dans l'Hexagone et sur la scène internationale, comme le meilleur spécialiste français des fusillés, le gouvernement de François Hollande ne lui a pas confié la direction de la commission chargée en 2013 d'établir un rapport sur ce dossier en vue de son règlement politique. André Bach avait sans doute une indépendance d'esprit et une liberté de parole qui ne lui avaient pas fait que des amis dans les sphères du Pouvoir, même si ses idées progressistes auraient pu sembler conformes aux options socialistes de l'ancien Président de la République.
En 2014 au demeurant, François Hollande a tourné le dos aux positions qu'il avait eues sur les fusillés et les mutins avant d'entrer à l'Elysée : il a fermé la porte à toute réhabilitation, collective ou au cas par cas. Alors que plusieurs pays, comme le Royaume-Uni et le Canada, ont depuis longtemps réhabilité leurs soldats exécutés, la France a simplement décidé de consacrer une salle à leur évocation, au Musée de l'armée ! Le général Bach pour sa part n'a pas hésité à dire la piètre opinion qu'il avait de cette initiative, peu susceptible selon lui de répondre à l'attente des descendants des familles meurtries et d'une large frange de l'opinion. Il était tout aussi hostile à la forme choisie pour la numérisation des dossiers des fusillés, effectuée par les pouvoirs publics, de façon très parcellaire et sommaire.
Loin des allées du pouvoir, avec ses amis du Blog prisme 14-18, il avait choisi de continuer quant à lui ses recherches avec la rigueur qui le caractérisait. Après avoir étudié de près, en les contextualisant, tous les dossiers des condamnés à mort des années 1914-16, il travaillait actuellement sur 1917. Il comptait boucler l'an prochain, pour le Centenaire de 1918, les quatre ans de cette vaste étude, qui incluait notamment la justice militaire dans l'Armée d'Orient, envisagée selon une perspective inédite, ouvrant de nouveaux horizons à la recherche.
Seule la mort l'a empêché d'achever, si près du but, sa dernière mission, mémorielle et citoyenne.
Ce général si singulier, cet homme libre qui vouait un mépris souverain aux courtisans de tous bords, ne se serait certainement pas étonné de la très grande discrétion des autorités à l'annonce de sa disparition. Sans doute finiront-elles quand même par réagir et enverront-elles des représentants à ses obsèques, mais il est significatif que les premiers hommages publics à sa mémoire aient émané de journalistes et d'associations de la société civile œuvrant pour la réhabilitation des fusillés. Après eux, c'est la Corse qui à travers ce petit hommage, venu d'un village qui a été l'un des plus meurtris de l'île durant 14-18, se manifeste pour saluer sa mémoire. Il n'en serait sans doute pas surpris, lui qui avait tant d'intérêt pour notre île, comme pour la France rurale, si oubliée elle aussi des élites citadines mais si présente, comme la Corse, quand la cause de la Liberté l'a exigée, du Vercors aux Pyrénées, un horizon qui lui était cher.
Non, André Bach, si peu jacobin et si réfractaire aux préjugés dont les campagnes et notre île elle-même font tellement les frais, André Bach si amoureux des hautes cimes et de la Liberté, n'aurait certainement pas été étonné que l'une des premières réactions publiques à son décès vienne de Corse.
Qu'il repose en paix, sur sa terre d'Andernos.
Le général avec son épouse, Pierre Castellani, maire d'Aullène, et Jean-Jacques Panunzi, aujourd'hui sénateur de la Corse du Sud.
Le général André Bach, lors de son discours en août 2014 à Aullène.
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